LE LABO DES IMAGES

Le cinéma a-t-il (encore) un intérêt à l'école ?

Le cinéma a-t-il (encore) un intérêt à l'école ?

Le 24 septembre dernier, nous apprenions la fin du dispositif « Collèges au cinéma » dans le département du Nord, permettant depuis plus de 30 ans aux classes de collèges de se rendre en salle pour y découvrir des films sélectionnés parmi un catalogue, fourni avec des outils pédagogiques à l’intention des enseignants. Suite aux réactions des enseignants, parents et médias à l’annonce de suppression, le programme a été relancé courant janvier 2025. Profitons de ce retour pour nous poser la question : est-ce toujours pertinent, aujourd'hui, de projeter des films dans le cadre scolaire ?


Des dispositifs remis en question

Le parcours « Ma classe au cinéma », proposé aux élèves de la Maternelle à la Terminale, aurait bien pu tirer sa révérence si les acteurs du milieu ne s’étaient pas mobilisés pour le faire ressusciter. Ses détracteurs relèvent que cela n’est peut-être pas le rôle de l’Éducation Nationale de montrer des films aux élèves. Pourtant, le dispositif « Ma classe au cinéma » a un grand intérêt pédagogique qu’il est difficile de nier : une programmation éclectique participant à l’éducation artistique des élèves, la découverte de structures et lieux culturels de proximité, des rencontres avec des professionnels du cinéma, des ateliers, etc. 

« C’est un dispositif sérieux chapeauté par le Centre National du Cinéma (CNC) qui permet de se rendre dans son cinéma de proximité avec les élèves pour leur montrer 3 films au cours de l’année. Ce sont des films d’auteur, anciens et récents sur lesquels on mène tout un travail. Moi, par exemple, je travaille sur la fabrique de l’image, ce qui est capital à l’ère des fake news. » Yann Jaunet, professeur de lettres et de musique, collège Saint-Joseph, Wattrelos (La Voix du Nord, 20/11/2024).


Quels films montrer à l'école ?

Au-delà des questions de budget, on retrouve d’autres types de plaintes revenant régulièrement concernant le choix des films pour les dispositifs « Écoles, Collèges et Lycéens au Cinéma ». Remettre en cause la composition du catalogue en considérant certains films comme inadaptés, c’est interroger l’influence du cinéma sur le développement d’un enfant, questionner sa perception des images et le pouvoir qu’elles peuvent avoir. Pour la période de 2012 à 2016, on compte une quarantaine de films ayant « posé problème », sur les 400 films proposés aux enseignants ; nous entendons par là : des films ayant reçu des plaintes de la part de parents d’élèves. 

Les motifs sont divers, citons pêle-mêle : promotion de la « théorie du genre » pour Tomboy (Céline Sciamma), le mot « pute » prononcé dans Les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy), ou encore l’intrigue tournant autour d’un meurtre pour Fenêtre sur Cour (Alfred Hitchcock). Dans leur grande majorité, les plaintes concernent généralement les mêmes sujets : langage grossier, allusions à la sexualité, scènes cruelles ou trop explicites, consommation de drogue ou d’alcool, etc. En d’autres termes, des images jugées violentes par certains parents d’élèves. S’il est évident qu’une image gore ou pornographique est à bannir auprès d’un trop jeune public, la question de savoir où placer la limite de la « violence » pour ces dispositifs destinés aux élèves est une question complexe. Il est important ici de souligner le rôle de l’enseignant dans le choix des films qui seront diffusés, cet enseignant même qui connaît sa classe et ses élèves, et sera en général capable de juger de la réception du film par sa classe. Dans le cadre de « Écoles, Collèges et Lycéens au Cinéma », un catalogue de film est disponible, mais il revient à l’enseignant de choisir à quelle œuvre la classe se confronte lors des 3 séances annuelles prévues par le programme (au maximum).

« En parlant avec les enfants, on découvre combien chacun d’entre eux peut juger violentes des images qui en laissent d’autres indifférents. Par exemple, un enfant avait jugé terriblement violentes des images montrant des victimes d’accidents de la route obligées de se déplacer jusqu’à la fin de leurs jours dans un fauteuil roulant. De la même manière, un enfant s’était déclaré très bouleversé par les images de pluies de cendres consécutives à une éruption volcanique parce que, disait-il, ces images lui rappelaient le nuage de cendres qui avait accompagné l’effondrement des Twin Towers lors de l’attentat du 11 septembre aux États-Unis. » Serge Tisseron, Les bienfaits des images, 2002.


L’éducation à l’image, un enjeu d’aujourd’hui

Si nous avons déjà abordé la dimension culturelle et artistique du dispositif « Ma classe au cinéma », il participe également aux enjeux d’éducation à l’image primordiaux aujourd’hui. Comprendre qu’une image est le résultat d’un point de vue, savoir la lire et l’interpréter, développer son esprit critique, ou encore favoriser la découverte et la compréhension de l’autre et du monde… Autant d’enjeux que le cinéma permet d’aborder d’une façon ludique, collective et agréable par les élèves, chaque film donnant lieu à une reprise en classe, avec potentiellement des ateliers, des rencontres et des découvertes. 
Pour l’éducation à l’image par le cinéma, « Ma classe au cinéma » reste aujourd’hui le moyen le plus développé, et parfois le seul moyen pour les élèves de se confronter à des œuvres cinématographiques. En moyenne, tous les ans, 280 000 lycéens voient un film en salle grâce à ce programme, soit largement plus que les 14 600 élèves choisissant l’option cinéma au lycée. En englobant « École, Collège et Lycée au cinéma », nous atteignons les 1,8 millions d’élèves touchés chaque année, soit approximativement 15% du total des élèves en France (site web du CNC).

Parmi les « objectifs pour les élèves » du dispositif « Ma classe au cinéma », nous trouvons : « développer leur esprit critique et leur jugement en tant que jeune citoyen ou citoyenne ; comprendre, analyser et contextualiser les images, compétences essentielles dans notre société contemporaine ; développer des références interdisciplinaires autour d’œuvres culturelles ». (Site web du CNC).


L’ESSENTIEL : 
• À l’école, le cinéma permet d’aborder les questions d’interprétation d’une image, d’esprit critique ou de découverte du monde.
• Le dispositif « Ma classe au cinéma » est bien plus qu’une séance proposée aux classes, et constitue un vrai temps d’éducation artistique et culturelle. Touchant 15% des élèves en France, le dispositif est pourtant remis en question pour des raisons budgétaires. 

 

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