20 Avril 2020
Dans ce contexte sanitaire un peu spécial, Le Labo des images a décidé de se pencher sur un phénomène présent depuis maintenant plus de 20 ans en France : les séries médicales. De Urgences à The Good Doctor en passant par Grey’s Anatomy, ces séries ont souvent connu un succès notable en France. Mais dans quelle mesure ces séries reflètent-elles ou non la réalité du quotidien des personnels soignants ? À travers différentes séries observant chacune un style particulier, nous allons donc essayer de décrypter la fiction et la réalité.
La série médicale : un objet de divertissement avant tout
Un des éléments les plus marquants des séries médicales, c’est la cadence. Quand Urgences arriva en France (en juin 1996), le public fut frappé par le rythme effréné et le ballet incessant des soignants et des patients. À cela s’ajoutait la musique, qui avait pour but de décupler la sensation d’immersion dans le service des urgences de Chicago. Selon plusieurs professionnels urgentistes qui avaient été invités a commenter la série dans plusieurs médias (Télérama, Melty...), il existe bien un fond de vérité dans Urgences. Cependant, c’est bien le rythme qui dénote. En réalité, les services d’urgences sont bien plus calmes que dans l’œuvre télévisuelle. Par ailleurs, plusieurs médecins reconnaissaient dans leurs témoignages qu’Urgences avait joué un rôle dans leur envie de pratiquer le métier, que la diffusion des épisodes ponctuaient par exemple leur période d’internat dans les hôpitaux. Le rythme très soutenu de cette série aurait donc poussé certaines personnes ayant grandi avec cette série à poursuivre des études médicales.
Un autre pan des séries médicales est de montrer la vie privée des personnages, quitte à ce que cela prévale sur les intrigues médicales. C’est le cas de Dr. House, mais surtout de Grey’s Anatomy, qui, si elle ne fait pas l’affront de présenter des pathologies inventées, utilise ces dernières, souvent très rares, pour mieux rebondir sur les histoires sentimentales et familiales des personnages.
Car oui, une série médicale reste une série, et pour qu’une série rencontre le succès escompté, le public doit s’identifier aux personnages. Pour cela, ces derniers doivent vivre des « aventures » universelles. Le contexte médical peut n’être alors qu’un prétexte pour mettre en scène des personnages et l’évolution de leur vie quotidienne.
Les séries médicales plus spécifiques : une autre façon de présenter le métier
Au-delà du sempiternel triangle Urgences - Dr. House - Grey’s Anatomy, il existe un bon nombre de séries abordant le thème médical de façon différente. Un peu avant Urgences, il y avait déjà Docteur Quinn, femme médecin, une série mettant en scène une femme médecin dans les grandes plaines du Colorado à la fin du XIXe siècle. La série mettait l’accent sur les difficultés pour une femme d’exercer ce métier à cette époque, mais empruntait plus aux codes de La Petite Maison dans la prairie qu’à ceux d’une série moderne et rythmée. Pour les plus curieux d’entre vous, la série est d’ailleurs toujours diffusée sur la TNT.
Une série qui va nettement plus nous intéresser pour le sujet de cet article est la série The Knick, cette dernière se déroule également à la fin du XIXe siècle, mais à New-York cette fois-ci, dans l’hôpital éponyme. Cette série se concentre sur l’évolution des techniques médicales, et notamment chirurgicales, à l’aube de la médecine contemporaine. L’accent est mis sur les expérimentations scientifiques et techniques qui ont permis à la médecine d’évoluer, à une époque où les antibiotiques n’existaient pas et où la mortalité dans les hôpitaux était très forte. Même si la série adopte volontairement un ton assez noir et cru, la vision de la médecine à cette époque est réaliste, grâce notamment aux écrits et à l’intervention d’universitaires spécialisés dans ce domaine.
Les séries médicales à succès comptent une bonne proportion de séries comiques, notamment Scrubs de l’autre côté de l’Atlantique et H chez nous. Ces séries, dont le but est avant tout de faire rire le public, sont malgré tout bien ancrées dans l’univers médical. Même si elles n’ont pas vocation à le dépeindre de façon réaliste elles s’attardent de façon significative sur les relations entre collègues, mais aussi sur les relations professionnels/patients. Sous couvert d’humour, elles ont donc tendance à questionner ces problématiques centrales dans le monde médical : la difficulté des relations humaines inhérentes à ce milieu, mais surtout la position délicate des professionnels de santé face à leurs patients.
Ce sujet est abordé comme thème central dans la série Rush qui suit un médecin opérant à domicile et qui passe ensuite des soirées avec ses patients. Elle questionne l’éthique, la distance à adopter de la part d’un médecin face à son patient, la dépendance affective ou les jeux de pouvoirs que peuvent engendrer ces relations.
La jeune série française Hippocrate, réalisée par un ancien médecin, a choisi de traiter le monde médical sous le prisme de l’hyper-réalisme, voire du naturalisme. Elle prend place dans un contexte sanitaire ou plusieurs médecins d’un hôpital doivent rester confinés chez eux en quarantaine pendant que le reste (quelques internes et un généraliste) doivent faire tourner seuls les différents services de l’hôpital. La particularité d’Hippocrate réside dans le fait que les personnages ne miment pas de fausses discussions pour nous expliquer ce qu’ils vont faire pour soigner le patient, ils le font. Cela rend la série plus difficile à suivre, mais nettement plus réaliste et crédible.
Qu’en est-il donc de la réalité médicale ?
Il serait absurde de dire que les séries médicales sont fidèles à la réalité ; et il serait également incorrect de dire qu’elles n’en font qu’à leur tête et que rien de cela n’est vrai. Tout dépend de l’ambition de la série et de sa volonté. Des séries de 8 saisons comme Dr. House ou de 16 comme Grey’s Anatomy n’auront pas vocation à dépeindre une situation médicale réaliste à chaque épisode, et ne pourront de toute façon pas le faire. Il est évident que des séries comme celles-ci ont pour but premier de raconter la vie des personnages. Il faut donc comprendre les tenants et les aboutissants d’une série médicale avant de se demander si elle est totalement fidèle à la réalité.
Pour se rendre compte de façon non romancée de la vie dans les hôpitaux, nous vous conseillons de vous pencher sur des documentaires tournés en milieu médical : 12 jours et Urgences de Raymond Depardon, films parlant respectivement des hospices et des hôpitaux psychiatriques ; Le Théâtre des Opérations de Benoît Rossel, suivant l’initiation d’un jeune chirurgien au bloc opératoire ; Burning-Out de Jérôme Le Maire, qui traite des conditions très rudes de travail du personnel d’un des plus grands hôpitaux de Paris ; et enfin, Hospital de Frank Wiseman, qui fait partie de sa série de documentaires dressant un portrait social des institutions américaines, et qui s’intéresse donc ici à l’hôpital.
Toute l’équipe du Labo des images vous souhaite un bon confinement, et surtout restez chez vous !